Démosthène (384-322 av. J.-C.)
Démosthène, copie d’une statue en pied de Démosthène visible sur l’Agora d’Athènes réalisée vers 280 av. J.-C. par le bronzier athénien Polyeuctos. Cette statue en pied, aujourd’hui perdue, est connue par quelques copies, dont la réplique conservée au musée de Copenhague (cf.ci-dessous). Quelques éléments de ce portrait (la pointe du nez, le bout du menton ainsi qu’une partie de la calotte crânienne) ont été restaurés.
Une autre copie romaine conservée au Musée National Archéologique d’Athènes d’un original en bronze du sculpteur Polyeuctos, en marbre du pentélique, découverte dans le Jardin National d’Athènes.
La statue sculptée par Polyeuctos fut érigée près de l’Autel des Douze Dieux dans l’Agora antique d’Athènes en 280 av. J.-C.
Une autre copie de la statue de Démosthène du sculpteur Polyeuctos conservée au British Museum

Jeunesse et formation
Orphelin à 7 ans d’un riche commerçant athénien, Démosthène vit sa fortune dilapidée par ses tuteurs. À 20 ans, il entame des procès contre eux pour récupérer son héritage, expérience qui forge ses talents d’orateur. La légende raconte qu’il surmonta ses difficultés d’élocution en s’exerçant avec des cailloux dans la bouche.
Carrière politique
Devenu logographe (rédacteur de discours judiciaires), il s’engage en politique vers 354 av. J.-C.. Sa carrière prend un tournant décisif en 351 av. J.-C. avec sa première Philippique, dénonçant la menace que représente Philippe II de Macédoine. Ses discours les plus célèbres, les Philippiques et les Olynthiennes, exhortent les Athéniens à résister à l’expansion macédonienne.
Combat et fin de vie
Fervent défenseur de l’indépendance grecque, il œuvre à forger des alliances entre cités-États. Malgré ses efforts, la défaite de Chéronée en 338 av. J.-C. marque le déclin d’Athènes. Impliqué dans un scandale financier en 324 av. J.-C., il s’exile temporairement. Après l’échec d’une dernière révolte contre les Macédoniens, il se réfugie sur l’île de Calaurie où il s’empoisonne en 322 av. J.-C. plutôt que d’être capturé.
Héritage
Démosthène reste célèbre pour son éloquence exceptionnelle et son patriotisme. Ses discours, modèles de rhétorique antique, témoignent de sa maîtrise du langage et de son engagement pour la démocratie athénienne. Son influence fut telle que Cicéron s’en inspira plus tard pour ses propres discours politiques.
Restitution du visage de Démosthène – Massalia.net – creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/
Démon contre Zénothémis
Protos, un négociant étranger établi à Athènes, associé à un certain Phertatos ont affrété un navire marseillais au port d’Athènes, le Pirée pour aller jusqu’à Syracuse et retour, en vue d’acheter du blé Sicilien et de le revendre sur les marchés d’Athènes.
Le capitaine du navire marseillais affrété est Hégestrate, son second est Zénothémis. tout deux sont originaires de Massalia.
Démon est un citoyen athénien riche et préteur de fonds, dont le père est un cousin germain de Démosthène, devenu une figure politique influente à Athènes.
Le plaidoyer ci-dessous est relatif à une affaire de prêts à la grosse aventure, contrat spécifique au transport maritime dont il est ici question pour couvrir les risques de la mer.
– Prêter à la grosse aventure, c’est une forme de prêt subordonné à la condition d’arrivée d’un navire à bon port.
– Le prêteur, reçoit un intérêt bien supérieur à l’intérêt ordinaire, entre 10 % et 30 %, comme prime de risque.
– L’emprunteur doit rembourser le prêt et payer les intérêts si le navire arrive à bon port, en est dispensé si le navire disparaît indépendamment de sa volonté.
– Le prêt qui doit être obligatoirement écrit, est garanti par l’emprunteur par l’un ou plusieurs des différents éléments composant le transport maritime soumis au risque de mer et servant de caution.
-tantôt sur corps et quille du navire,
– tantôt sur les agrès et appareillages,
-ou sur fret ou chargement, dont l’affectation ne fait pas obstacle à la vente des biens le composant, pourvu qu’ils soient remplacées par d’autres biens d’égale valeur.
Le prêt est établi pour un aller et retour ou pour un aller simple.
La caution apporté par l’emprunteur doit être libre de tout autre affectation présente ou future, elle est considérée comme appartenant au prêteur.
Dans la pratique les contrats étaient rédigés par écrit en présence de témoins, signés et scellés par les deux parties et les témoins, et déposés chez un tiers, le plus souvent un banquier, avant le départ. Le prêt à la grosse aventure est donc un investissement à risque qui pouvait-être très lucratif. Pour veiller à la bonne exécution du contrat le préteur affectait un agent à bord du navire en charge de ses intérêts, il arrivait que se soit le préteur lui-même qui tienne se rôle.
Athènes, le Pirée, Corinthe, Céphallénie, Syracuse, Massalia.
PLAIDOYER
[1]Juges, c’est par une exception que je repousse l’action de mon adversaire (01), je veux donc parler d’abord des lois qui rendent cette action non recevable. Les lois, juges, donnent une action en justice aux gens de mer et aux commerçants, pour expéditions faites d’Athènes ou sur Athènes, et lorsqu’il y a contrat par écrit. Elles ajoutent que si quelqu’un veut plaider hors de ces cas, son action n’est pas recevable (02).
[2] Or, entre Zénothémis et moi, il n’y a ni convention, ni contrat par écrit. Lui-même le reconnaît dans sa demande, mais il prétend qu’il a fait un prêt au capitaine du navire Hégestrate, et qu’Hégestrate ayant péri en mer, nous nous sommes approprié le chargement. Ce sont là en effet les termes de la demande. Ma plaidoirie va vous montrer que l’action n’est pas recevable. Elle vous fera voir en même temps les manœuvres et l’improbité de cet homme.
[3] Pour vous, juges, je vous adresse ma prière à tous. Si jamais affaire a obtenu votre attention, ne la refusez pas à ma cause. Vous verrez jusqu’où vont l’audace et l’improbité de cet homme, si du moins je parviens à vous dire ce qu’il a fait, et j’espère bien y parvenir.
[4] Zénothémis, qui est ici devant vous, était le second d’Hégestrate, ce capitaine de navire, que lui-même, dans sa demande, dit avoir péri en mer comment? c’est ce qu’il n’ajoute pas, mais je le dirai. Tous deux se sont entendus pour commettre la fraude que voici : L’un et l’autre contractaient des emprunts à Syracuse. Ceux qui prêtaient à Zénothémis se renseignaient auprès d’Hégéstrate, et celui-ci répondait qu’il y avait sur le navire beaucoup de blé appartenant à Zénothémis. A ceux qui prêtaient à Hégestrate Zénothémis affirmait que ce dernier était propriétaire du chargement. L’un était capitaine, l’autre avait rang à bord ; on les croyait volontiers parlant sur le compte l’un de l’autre.
[5] Mais lorsqu’ils eurent reçu les fonds, il les envoyèrent chez eux à Marssalia, au lieu de les emporter avec eux sur le bâtiment; et comme le contrat portait, suivant l’usage, que les fonds empruntés seraient rendus, le navire étant arrivé à bon port; ils complotèrent de perdre le navire en mer, afin d’anéantir les droits des créanciers. A peine étaient-ils à deux ou trois journées de terre ; Hégestrate descendit de nuit à fond de cale, et se mit à pratiquer une voie d’eau. Cependant Zénothémis, comme s’il n’eût rien su, restait sur le pont avec les autres passagers. Tout à coup on entend du bruit. Tous ceux qui sont sur le navire, s’aperçoivent qu’il se passe quelque chose à fond de cale et descendent pour porter secours.
[6] Hégestrate, pris en flagrant délit, fuit pour échapper au châtiment qui le menace (03) ; poursuivi, il se jette à la mer, mais dans l’obscurité de la nuit il manque le canot et se noie. Ce fut le sort assurément bien mérité d’Hégestrate. Misérable, il périt misérablement, et souffrit le mal qu’il avait voulu faire aux autres.
[7] Quant à celui-ci, son associé et son complice, on le vit d’abord sur le navire, au moment même où se commettait le crime, jouer la surprise et l’effroi, presser le maître d’équipage (04) et l’équipage lui-même de se jeter dans le canot et d’abandonner le navire au plus vite, dire qu’il n’y avait plus d’espoir de salut, que l’on allait couler, et tout cela pour consommer le crime qu’ils avaient concerté ensemble, faire périr le navire et anéantir les emprunts.
[8] Mais ses efforts furent inutiles. L’agent que nous avions préposé au chargement (05) résista, et promit aux hommes d’équipage une forte récompense s’ils parvenaient à sauver le bâtiment; et le bâtiment sauvé parvint à Céphallénie, grâce aux dieux d’abord, mais aussi grâce à l’énergie de l’équipage. Alors Zénothémis, d’accord avec les Massaliotes, compatriotes d’Hégestrate, prétend que le navire ne peut continuer sa route sur Athènes. Il dit qu’il est lui-même de Masallia, de même que le chargement, et que le capitaine et les prêteurs à la grosse sont tous Massaliotes.
[9] Mais cette fois encore ses efforts furent inutiles. Les magistrats de Céphallénie décidèrent que le navire devait retourner à Athènes d’où il était parti (06), et alors cet homme, que personne n’aurait cru assez osé pour se montrer ici après avoir comploté et exécuté pareille chose, cet homme a poussé l’impudence et l’audace, non seulement jusqu’à venir parmi vous, mais jusqu’à nous disputer le blé qui nous appartient, et à nous intenter une action en justice.
[10] D’où vient cela? Sur quoi compte-t-il lorsqu’il se rend ici, lorsqu’il intente une action? Je vais vous le dire, juges, à mon grand regret, j’en atteste Zeus et les dieux, mais il le faut. Il existe au Pirée certaines officines de voyous qui s’entendent tous entre eux, et que vous reconnaîtriez parfaitement s’ils paraissaient devant vos yeux.
[11] Au moment où Zénothémis s’opposait à ce que le navire revînt ici, nous prîmes d’un commun accord un de ces hommes et nous l’envoyâmes pour nous représenter (07). Quoiqu’il fût bien connu, nous ne savions pas ce qu’il était, malheur non moins grand pour nous que celui d’avoir eu affaire au début à des gens de mauvaise foi. Cet homme envoyé par nous son nom est Aristophon, c’est lui qui a si bien arrangé, on vient de nous l’apprendre, les affaires de Miccalion, s’est entendu avec notre adversaire et lui a vendu ses services. C’est lui qui a tout fait à lui seul. L’autre ne demande pas mieux que de le laisser faire.
[12] N’ayant pas réussi à perdre le navire, et ne sachant pas comment s’acquitter envers les prêteurs, comment rendrait-il les fonds qu’il n’a pas emportés au départ? (08) il cherche à s’emparer de ce qui nous appartient, et prétend avoir prêté à Hégestrate sur les blés achetés par notre agent
(09). Et les prêteurs qui ont été les premiers trompés, voyant que, loin de rentrer dans leurs fonds, ils ont pour tout gage le bon vouloir d’un débiteur de mauvaise foi, espérant se payer à nos dépens si cet homme parvient à vous en imposer, savent très bien que tout ce qu’il dit est un mensonge imaginé pour nous dépouiller. Ils se voient néanmoins obligés de faire cause commune avec lui. Ainsi l’exige leur intérêt.
[13] Telle est en peu de mots l’affaire sur laquelle vous allez vous prononcer. Je veux d’abord vous faire entendre les témoins de ce que j’avance. Je passerai ensuite à ce qui me reste à dire. Lis les dépositions
TÉMOIGNAGES.
[14] Lors donc que le navire fut arrivé ici, d’après le jugement rendu à Céphallénie sur l’opposition de notre adversaire, jugement aux termes duquel le navire devait retourner au port d’où il était parti, ceux qui avaient prêté ici même, sur corps et quille, prirent aussitôt possession du vaisseau (10). Quant au blé, il resta en la possession de l’acheteur qui était précisément notre débiteur. A ce moment survint notre adversaire, accompagné du même Aristophon que nous avions envoyé pour nous représenter, et il revendiqua ce blé comme créancier d’Hégestrate.
[15] « Que dis-tu là, mon ami? répond sur-le-champ Protos (c’est en effet le nom de celui qui a fait venir les blés et qui nous en doit le prix), tu as prêté de l’argent à Hégestrate, toi ! Mais tu t’es joint à lui pour tromper les tiers et lui faire obtenir de l’argent ; mais tu tenais de lui-même que ceux qui lui confiaient leurs fonds ne les reverraient plus, et c’est après cela que tu lui aurais prêté toi-même ? » Et comme Zénothémis soutenait son dire avec impudence : « Si tu dis vrai, reprit un des assistants, cet Hégestrate, ton associé et ton compatriote, t’a trompé tout comme les autres. C’est pour cela sans doute qu’il s’est donné la mort, afin d’expier son forfait. »
— [16] « Je vous dis, ajouta quelqu’un qu’ils ont toujours été complices, et la preuve, c’est qu’avant de mettre à exécution leur criminel projet, Hégestrate et lui ont déposé leur contrat écrit entre les mains d’un des passagers. Et pourtant, si tu avais remis les fonds à Hégestrate sur sa parole, pourquoi prenais-tu soin d’en passer acte avant le crime ? Si tu n’avais pas confiance en lui, pourquoi, comme les autres, ne t’étais-tu pas mis en règle avant le départ? »
— [17] A quoi bon vous en dire davantage ? Tous nos discours ne nous servirent de rien, il ne laissait pas enlever les blés. Protos et son associé Phertatos voulurent alors l’éconduire, mais lui ne se laissa pas faire, et déclara formellement que personne ne l’éconduirait, si ce n’est moi-même (11).
[18] Nous lui avons ensuite fait sommation, Protos et moi, de faire décider la contestation par les juges de Syracuse. Nous offrons de prouver que le blé a été acheté par Protos, que les registres de la douane portent son nom, que le prix a été acquitté par lui, et nous demandons que Zénothémis soit condamné comme étant de mauvaise foi ; si nous ne faisons pas cette preuve, nous lui rembourserons toutes ses dépenses, nous lui payerons en outre un talent, et nous lui laisserons enlever les blés, Mais ni cette sommation ni ce langage ne nous servirent de rien à Protos et à moi. Il ne me restait plus alors qu’à choisir entre deux partis : Éconduire Zénothémis, ou bien perdre mon argent qui était là sous mes yeux, échappé à tous les périls de la mer.
[19] De son côté Protos prenait des témoins pour constater le refus de Zénothémis, et se déclarait prêt à faire le voyage de Sicile ; que si, malgré cette offre de sa part, j’abandonnais le blé à Zénothémis, ce serait à mes risques et périls. Je vais maintenant prouver ce que j’avance : Zénothémis a déclaré qu’il ne se laisserait pas éconduire par un autre que par moi ; il a refusé de retourner plaider à Syracuse ; c’est à bord qu’il a fait son contrat. Sur tout cela lis les dépositions.
TÉMOIGNAGES.
[20] Ainsi donc, puisque Zénothémis ne voulait pas se laisser éconduire par Protos, ni retourner plaider en Sicile, et qu’il avait été manifestement le complice de toutes les fraudes d’Hégestrate ; nous, porteurs d’un contrat fait ici, et recevant les blés de celui qui les avait régulièrement achetés à Syracuse (12), nous n’avions plus qu’à éconduire Zénothémis.
[21] Et quel autre parti pouvions-nous prendre? Car il n’est pas venu à l’esprit d’un seul de mes associés que vous pussiez adjuger ces blés à celui qui pressait l’équipage de les abandonner, pour qu’ils se perdissent avec le navire. C’est là surtout ce qui prouve que Zénothémis n’a aucun droit sur ces blés. S’ils lui eussent appartenu, aurait-il engagé à les laisser périr ceux-là mêmes qui voulaient les sauver? Ne serait-il pas retourné en Sicile sur la sommation qu’il avait reçue, pour plaider là où toutes les preuves étaient faciles à fournir ?
[22] Nous ne pouvions pas davantage concevoir cette pensée injurieuse pour vous, qu’un jour vous pourriez recevoir l’action de cet homme, au sujet de ces marchandises, qui n’auraient pas été reçues chez nous si ses manœuvres avaient réussi, d’abord lorsqu’il pressait l’équipage de les abandonner, et ensuite à Céphallénie lorsqu’il s’opposait à ce que le navire revînt ici.
[23] En vérité, ne serait-ce pas une chose étrange et inouïe? Les Céphalléniens, pour conserver le chargement aux Athéniens, ont ordonné que le vaisseau continuât son voyage, et vous, Athéniens, vous adjugeriez la propriété de vos concitoyens à ceux qui ont voulu la jeter à la mer? Vous pourriez déclarer notre adversaire recevable à réclamer ce même chargement qu’il ne voulait pas laisser arriver jusqu’ici? Non, par Zeus et tous les dieux, cela ne se peut! Lis mon exception.
EXCEPTION.
Lis maintenant la loi.
LOI.
[24] Je crois avoir montré suffisamment que ma demande est bien fondée en droit et que l’action n’est pas recevable. Vous allez voir maintenant une adroite manœuvre de celui qui a été l’âme de toute cette affaire, je veux parler d’Aristophon. Jugeant bien, d’après tout ce qui s’était passé, qu’ils n’avaient absolument aucun droit, ils entrent en arrangement avec Protos et le décident à leur abandonner toute l’affaire. Dès le début, nous le voyons bien maintenant, ils travaillaient en ce sens, et cela était naturel, mais ils étaient restés longtemps sans rien obtenir.
[25] En effet, tant que Protos put espérer un bénéfice à faire sur le blé rendu à Athènes, il y tenait fort, aimant mieux prendre le gain pour lui en nous payant, que d’entrer en société avec ceux-ci et de partager le profit avec eux en nous faisant tort. Mais, de retour ici, il eut à s’occuper des difficultés qui s’élevaient. Cependant le blé baissa et aussitôt notre homme changea d’avis (13).
[26] En même temps (car il faut, Athéniens, vous dire toute la vérité), nous aussi, ses créanciers, nous lui montrions notre déplaisir, nous étions mécontents de voir que la perte allait retomber sur nous, nous lui reprochions de nous avoir, au lieu d’argent, rapporté un méchant procès. Alors cet homme, qui du reste n’est pas des plus honnêtes, se tourne du côté de nos adversaires et consent à laisser prendre défaut sur l’action que Zénothémis lui avait intentée avant qu’ils ne fussent d’accord.
[27] Si ce dernier se fût désisté envers Protos, on aurait aperçu tout d’abord la manœuvre dirigée contre nous. D’autre part, Protos n’aurait pas voulu laisser prendre contre lui un jugement contradictoire. De la sorte, si on lui tenait parole tout était dit, sinon il avait la ressource de former opposition (14). Mais pourquoi tant parler de ces choses ? Si Protos a fait ce que Zénothémis lui reproche dans sa demande, ce n’est pas une condamnation civile, c’est la peine capitale que Protos a justement encourue. Si, au fort du danger et pendant la tempête il s’est gorgé de vin jusqu’à perdre la raison, quel châtiment n’a-t-il pas mérité de subir?
[28] Ou bien encore, s’il a volé des papiers, brisé des sceaux? Au surplus c’est entre vous deux que vous aurez à discuter toutes ces choses. Pour toi, Zénothémis, garde-toi de confondre ma cause et la sienne. Si Protos t’a fait tort, en parole ou en action, tu t’es fait rendre justice, c’est ton droit. Tu ne peux pas dire qu’un seul d’entre nous t’en ait empêché ou t’ait demandé grâce pour lui. Si tu l’as calomnié, ce n’est pas notre affaire.
[29] Mais il a disparu, dites-vous; oui, c’est vous qui l’avez fait disparaître, pour nous priver de son témoignage, et pour pouvoir dire tout ce qu’il vous plaira contre lui. Si ce défaut n’avait pas été concerté entre vous, tu l’aurais cité devant le polémarque, tu lui aurais demandé caution ; s’il avait fourni caution, il aurait bien été forcé de rester, ou du moins tu aurais eu à qui t’en prendre (15). S’il n’avait pu fournir caution il serait allé en prison.
[30] Au lieu de cela, vous avez fait cause commune. Il espère, grâce à toi, échapper au payement de la différence dont il est responsable envers nous, et toi tu l’accuses afin de t’approprier ce qui nous appartient. Et la preuve, c’est que je le citerai en témoignage, tandis que toi tu ne lui as pas demandé caution, et aujourd’hui même tu te gardes bien de le citer (16).
[31] Ils ont encore un autre moyen sur lequel ils comptent pour vous tromper et vous surprendre. Ils accuseront Démosthène, ils diront que si je ne l’avais pas eu avec moi je n’aurais pas osé affronter ce procès. Son talent, sa réputation leur paraissent propres à donner du crédit à cette supposition. Il est vrai, Athéniens, que Démosthène est mon parent, mais (j’atteste ici tous les dieux que je dis la vérité)
[32] le jour où j’allai le trouver, où je lui demandai de m’assister et de me défendre, à moins qu’il n’en fût empêché : « Démon, me dit-il, je ferai ce que tu voudras, car il serait dur de te refuser. Pourtant avec ta position il faut voir aussi la mienne. Depuis que j’ai commencé à parler sur les affaires publiques, il ne m’est pas arrivé une seule fois de plaider une cause privée. Je me suis même abstenu de celles qui touchent à la politique (17)… »
Traduction (modifiée): Rodolphe Dareste, 1875.
NOTES
(01) Sur le prêt à la grosse chez les Athéniens, voy. de Vries, De Fenoris nautici contractu, Harlem, 1842, et ma dissertation dans la Revue historique de droit français et étranger, Paris, 1867.
(02) En général, l’étranger ne pouvait pas se présenter en personne devant les tribunaux athéniens. Il était représenté par le proxène de sa nation, ou, s’il était métèque, par son patron, προστάτης. Mais, en matière de commerce maritime, une loi spéciale dérogeait à la règle. C’est en invoquant cette loi que le Marseillais Zénothémis a intenté une action contre l’Athénien Démon. Voy. Hermann, t. III, § 44, et Platner, Process und Klagen bei den Attlkern, p. 87.
(03) Hégestrate avait commis le crime appelé baraterie de patron, crime qui est toujours puni de mort.
(04) Πρωρεύς l’homme qui se tient à la proue. Il avait un rang intermédiaire entre le pilote κυβερνήτης qui tenait le gouvernail, et les simples matelots ναύται.
(05) Les commerçants intéressés dans une expédition maritime, et parfois même les prêteurs à la grosse, mettaient à bord un agent, un subrécargue, συμπλέων, pour surveiller le capitaine, et les représenter en cas de besoin. La précaution, comme on le voit, n’était pas inutile. Tous ces agents et les simples passagers s’appelaient ἐπιβαταί, par opposition aux gens de l’équipage ναύται. Voy. sur ce point la loi 122, D. De Verborum obligationibus (X.LV.I) et Cujas, ad Africanum, 1. 23, De Obligationibus et acitonibus (éd. Ven., I, p. 1230). Voy. aussi Plutarque, Cato major, cap. 21.
(06) Le navire avait été frété d’Athènes à Syracuse et retour. Pour rompre le voyage et retourner à Marseille, qui est le port d’armement, Zénothémis a besoin d’un jugement rendu par les autorités du lieu où il a fait relâche; mais les juges de Céphallénie décident que le navire est en état de continuer sa route.
(07) Πρεσβευτὴν ἐκ βουλῆς. Les anciens interprètes, et G. Schaefer lui-même, croient que ces mots désignent un membre du Conseil des Cinq-cents, que les chargeurs envoient à Céphallénie avec une sorte de caractère public ; mais il est facile de voir par le contexte que cet Aristophon était un simple mandataire, avec un caractère purement privé. Ἐκ βουλῆς veut donc dire que la désignation de mandataire a été faite par tous les intéressés au chargement, réunis en assemblée générale. C’est le sens donné par Vœmel.
(08) L’emprunteur à la grosse chargeait sur son navire les espèces fournies par le prêteur, ou les marchandises achetées avec ces espèces. Zénothémis n’avait rien chargé du tout, puisqu’il avait envoyé les fonds à Marseille. Il se défendait en disant qu’après les avoir reçus du ses prêteurs, il avait lui-même prêté ces fonds à Hégestrate, avec affectation sur le chargement. Mais Démon soutient que ce chargement a été acquis de ses deniers, par son emprunteur Protos. La question est donc de savoir à qui appartient le chargement.
(09) Le navire était marseillais, Hégestrate en était à la fois patron et propriétaire. Au départ d’Athènes il avait emprunté sur corps et quille pour payer les loyers de l’équipage et les autres dépenses courantes. En arrivant à Syracuse, il avait épuisé les sommes provenant de cet emprunt, et c’est pourquoi il en contracte un second. De retour au Pirée, Zénothémis ne peut payer les prêteurs qui prennent aussitôt possession du navire, sans contestation de la part de Zénothémis.
(10) Démon parle ici du chargement comme étant sa propriété, parce que ce chargement est affecté au remboursement du prêt qu’il a fait. Mais il est plus difficile d’expliquer comment les blés ont été achetés par l’agent de Démon, quand il a été dit plus haut qu’ils ont été achetés par Protos. Ce sont cependant deux personnes différentes, car pendant la tempête Protos s’est mal conduit, tandis que l’agent des prêteurs a sauvé le vaisseau. C’est sans doute que les achats de blé ont été faits par Protos et payés par l’agent de Démon.
(11) La dépossession (ἐξαγωγή), dont il s’agit ici est le préliminaire de la revendication. C’est une lutte simulée à laquelle les parties ont recours d’un commun accord. Celui qui est éconduit ou dessaisi engage l’action sous la forme d’une demande personnelle en dommages-intérêts (δίκη βλάβης). Cette procédure rappelle la deductio quœ morîbus fit, qui, dans l’ancien droit romain, servait à engager la revendication per sponsionem, au moyen d’une lutte fictive sur le terrain litigieux. Dans cette lutte les rôles de vainqueur et de vaincu étaient convenus d’avance, et le vainqueur fournissait le vadimonium, c’est-à-dire qu’il s’engageait à comparaître à jour fixe. Du reste, le résultat de la lutte n’avait aucune influence sur la question de possession, ni, par suite, sur l’attribution des rôles de demandeur et de défendeur (voy. Cicéron, Pro Tullio, et Pro Caecina; Bethmann-Holrweg) der Römische Civil–process, t. II. p. 287). Ces particularités semblent s’accorder assez bien avec ce que nous savons de l’ἐξαγωγή.
(12) C’est-à-dire des mains de notre agent.
(13) L’Attique ne produisait pas le blé nécessaire à sa consommation. Aussi Athènes faisait-elle un grand commerce d’importation avec la mer Noire, la Sicile et l’Égypte. La valeur du blé était soumise à des !lut[nations considérables et donnait lieu à des spéculations ardentes. Voy. par exemple le plaidoyer contre Dionysodore.
(14) Ces faits étaient allégués par Zénothémis incidemment à son action contre Protos, action qui tendait à l’allocation de dommages-intérêts, δίκη βλάνης. Nous ne savons, du reste, quels pouvaient être les papiers soustraits par Protos.
(15) L’étranger défendeur était tenu de fournir caution, et son adversaire le citait à cet effet devant le polémarque. Ainsi Protos était un étranger, probablement un métèque. Voy. Meier et Schœmann, p. 54.
(16) Κλητεύειν signifie proprement assigner un témoin qui se dérobe, et le forcer à venir donner son témoignage.
(17) La phrase n’est pas finie et ne donne pas un sens bien clair.